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Le temps pour réussir, l’effort pour apprendre

Je le reconnais, j’ai failli succomber.

A plusieurs reprises dans ce temps si particulier j’ai failli succomber aux sirènes contre lesquelles je m’insurge régulièrement et résiste non pas tant par esprit de contradiction que par refus des modes, des standards, des dogmes.

Je souscris, en temps normal, à un éloge de la lenteur. De savoir se hâter avec lenteur.

Je souscris, en temps normal, à parfois savoir privilégier le chemin plutôt que la destination.

Je souscris, en temps normal, de maintenir la plasticité de notre cerveau, par un travail régulier d’apprentissage, de découverte, parfois austère, en apparence, et exigeant, presque toujours.

Je souscris, en temps normal, de l’importance d’être positivement feignant. Ne nous méprenons pas sur ce dernier point. Être positivement feignant veux dire pour moi travailler, parfois beaucoup, au bon moment et de la meilleure façon possible.

Jiminy Cricket sur mon épaule

Fais Vite, Sois Fort, Sois Parfait, Fais Plaisir, Fais des efforts sont des injonctions qui peuvent nous parler comme le faisait Jiminy Cricket, incarnant la bonne conscience, posé sur l’épaule de Pinocchio pour lui susurrer à l’oreille des actions à entreprendre.

Nous avons tous des Jiminy Cricket qui nous parlent. Certains sont peu présents voire inactifs, certains sont à notre main et nous pouvons les laisser agir si nécessaire, certains enfin nous guident et mobilisent dans chacune de nos actions.

Je me perçois, sans doute hélas, comme peu sensible à ces injonctions.  

L’honnêteté pourrait me faire dire que « Sois Fort » me guide pour cultiver ma singularité mais je ne cherche pas à imposer mon point de vue. Juste le partager et l’assumer.

 L’honnêteté pourrait me faire dire que « Fais des efforts » me guide pour apprendre mais apprendre est, pour moi, d’abord un acte de plaisir.

Je me sais personnellement assez étranger aux 3 autres.

Alors pourquoi aujourd’hui ce témoignage plutôt qu’un partage de bonnes pratiques ou d’expertises.

« Les moments de crises produisent un redoublement de vie chez l’Homme. » – Chateaubriand 

Depuis mi-mars, avec l’installation du télétravail, du confinement, la gestion de crise sous toute ses formes, les moyens de communication distants – mail, téléphone, vidéo conférence – ont explosé en usage.

Le risque de surcharge informationnelle, « l’infobésité » comme la nomme justement Caroline Sauvajol-Rialland (1), est devenu une réalité tangible.

Il en va de même pour le rythme. Certes, vouloir sortir de l’épidémie au plus tôt est souhaitable à plus d’un titre. Vouloir mettre en place rapidement des organisations pour traverser cette crise au plus faible coût est pertinent. S’intéresser à ce que pourra être demain est utile. Mais il nous faut aussi renouer avec les rythmes de la Vie, de la Nature et apprendre. 

« Un mensonge peut faire le tour de la terre le temps que la vérité mette ses chaussures. » – Mark Twain.

Ce rythme qui tend à confondre Vitesse et Précipitation, Mouvement et Agitation, Synthèse et Raccourci parfois même Exigence et Brutalité se voit renforcé dans ses effets négatifs (pervers ?) par le poids que nous accordons à l’infotainment et aux réseaux sociaux.

 Le peu de place laissé pour la distanciation, le recoupement, l’analyse, les connaissances (au sens de l’éducation) combiné avec « l’émotionnalité » exacerbée fait la part belle aux Fake News et leurs effets destructeurs.

Tout cela nous maintient dans un système où l’action doit être permanente, produire des résultats rapides, visibles, pratiques. D’ailleurs, les outils de communication modernes ne sont-ils pas là pour nous y aider ?

Et si nous décidions de voir comme des dogmes entretenus le culte de la Vitesse devenue Précipitation, le culte de la Synthèse devenue Raccourci.

La Vitesse devenue Précipitation

 « Il suffit de voir la nature pour comprendre. La nature obéit aux lois de la nature. Mais l’homme ne veut pas obéir aux lois de sa nature. Il refuse d’attendre, il désire tout, tout de suite… » – François Garagnon

Souvenez-vous de l’Homme pressé, un film d’Edouard Molinaro sorti en 1976 avec Alain Delon et Mireille Darc dans les rôles phares (Il existe un remake avec Fabrice Luchini sorti en 2018).

Tiré du roman éponyme de Paul Morand écrit en 1941, le personnage central présente tous les stigmates de l’homme moderne : incapable de tenir en place, impatient, etc. 

Je garde le souvenir dans le film du moment où Alain Delon, qui va devenir père, demande à Mireille Darc de mettre son enfant au monde en beaucoup moins de temps que 9 mois.

En animation de conférence-débat ou de séminaire, le thème du management du temps et surtout de son optimisation surgit régulièrement.

Je parle d’ailleurs plus volontiers alors du management de notre énergie que du management du temps. Nous avons tous 24 heures mais leur usage sera différent d’une personne à l’autre et, de fait, entrainera des résultats et des ressentis différents.

S’il y a des femmes dans la salle, je les interpelle sur le fait qu’elles ne sont pas dans le monde réel, dans la vraie vie qui est la nôtre aujourd’hui. Comment peuvent-elles encore avoir besoin de 9 mois pour mettre un bébé au monde ? Elles devraient pouvoir le faire en 4-5 mois maximum. Bien évidemment viable. Si en plus, il peut être propre et déjà partiellement autonome ce serait mieux.

Pourquoi une telle provocation ? Pour nous reconnecter avec la réalité de certains rythmes et en particulier ceux de la Nature.

« Si nous prenons la Nature pour guide, nous ne nous égarerons jamais » – Cicéron

Un cousin à la tête d’une exploitation agricole « raisonnée et maitrisée » que j’interrogeais un jour sur le bon timing entre 2 récoltes me répondit « Entre 7 et 9 mois. L’écart étant lié à la qualité de la terre, au type de la culture semée et enfin à la météo. On peut modifier cela avec de la chimie pour plus de rentabilité à l’hectare, de la chimie pour améliorer la vitesse de pousse. Pas grand-chose à faire pour la météo. Ensuite il faudra encore de la chimie pour aider à régénérer une terre appauvrie. Cela est juste une affaire de coût.  Moi j’aime bien les vers de terre, ils régénèrent ma terre gratuitement. Alors j’accepte le rythme qu’ils m’imposent ! »

Notre société occidentale est devenue « l’homme pressé » où chaque acte doit produire un résultat immédiat. Au risque parfois de perdre de vue l’essentiel.

« Vous les occidentaux, vous avez l’heure mais vous n’avez jamais le temps. » – Gandhi

De nombreux éléments nous indiquent que le virus est parti d’Asie. Dans cette région du globe, l’action, dans le rapport au temps, y est différente.

Dans la macro culture asiatique, chaque acte est contributif d’un grand dessein qui se verra plus tard. Le jeu de Go, originaire de ce continent, nous en donne une illustration intéressante. La stratégie et la victoire se dessine rarement avant le 100ème coup.

« L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combattre. » – Sun Tzu

La lecture de Sun Tzu nous montre l’importance de prendre le temps de créer l’environnement le plus favorable à la victoire et qui dissuade l’adversaire de toute velléité belliqueuse.

Il y a des rythmes lents qu’il faut savoir accepter. Des actions qu’il faut savoir poser sans en espérer un résultat rapide. Des temps longs qu’il convient d’appréhender car ils apportent plus qu’une succession de temps courts.

 En cela se reconnecter à la Nature est une aide précieuse. Les générations passées, probablement parce que moins équipées l’acceptaient. Sachons nous hâter avec lenteur. Retrouver la Vitesse plutôt que la précipitation.

« La véritable sagesse consiste à ne pas s’écarter de la nature, mais à mouler notre conduite sur ses lois et son modèle. » –  Sénèque

La Synthèse devenue Raccourci

« L’essentiel dans l’éducation, ce n’est pas la doctrine enseignée, c’est l’éveil. » – Ernest Renan

Je parle ici de l’éducation au sens philosophique du terme, l’action d’élever, de développer ses facultés physiques, intellectuelles et morales

Difficile de s’intéresser vraiment à l’histoire sans l’effort d’apprendre un minimum de dates pour mettre les évènements en perspectives les uns par rapport aux autres. Pas de chimie et de rééquilibrage de formule sans l’effort de connaitre le tableau des éléments périodiques de Mendeleïev.

J’évoquais plus avant dans cet article les formidables moyens de communication dont nous disposons aujourd’hui pour continuer à assurer nos activités mais surtout maintenir le lien entre les personnes. Un lien prioritairement opérationnel, professionnel, éducatif ou familial.

Plus que jamais par le passé, le principe du bon média pour le bon usage prend du sens.

« Tu veux m’informer et n’attends pas de réponse de ma part. » : le mail

« Tu veux une réponse de ma part. » : le téléphone

« Tu veux me faire réagir. » : le rdv programmé par Skype, faceTime, Teams, Zoom, HangOuts, etc. Le rdv de face à face reste encore à éviter.

« Mais pour me faire réfléchir, pour pouvoir partager autour d’une idée dans une discussion à bâtons rompus, pour nourrir ce lien physique et social qui peut nous pousser à apprendre de nouvelles choses » : quel est l’outil.

Notre volonté et se donner du temps sont primordiaux. L’outil c’est la lecture ou la vidéo. J’ai choisi le premier. Je maîtrise mieux la relation épistolaire. J’explore le second. 

« La richesse consiste bien plus dans l’usage qu’on en fait que dans la possession. » – Aristote

Ce que nous avons perdu, pour un temps encore même avec le déconfinement, c’est le lien physique, le lien social. Paradoxalement, alors que nous disposons potentiellement de plus de temps, la discussion, l’échange, le partage, l’enrichissement mutuel, le débat sont peu présents. Se développer, apprendre, est remis à plus tard.

« La raison et la volonté seules ne suffisent pas pour changer. Encore faut-il qu’il y ait le désir. » – Spinoza

Sachons profiter du temps libre dont nous pouvons disposer pour apprendre. Ce que nous appelons aujourd’hui « loisir », les Grecs l’appelaient « skholé » d’où provient le mot « école ». Il correspondait au temps réservé dans lequel chaque citoyen, échappant à la nécessité de production, pouvait se développer dans des matières comme l’art, la rhétorique, la science ou la politique.

« Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne. L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme. » – Victor Hugo

Je fais le pari qu’il existe encore en chacun de nous le désir d’apprendre et partager. Le désir d’entretenir la plasticité de son intellect malgré l’effort que cela peut demander.

Alors je prends le risque d’être provoquant en me refusant de limiter à 2 pages (3 maximum) ou de tronçonner en plusieurs articles le développement d’une idée si le fond apporté demande plus de pages et demande un effort de lecture et d’appropriation. L’enjeu, c’est l’idée et son développement, la maturation qu’elle requiert, le questionnement qu’elle provoque, l’exigence de réflexion et de recherche qu’elle demande.

Je prends aussi le risque d’aller à contre-courant en vous proposant de balayer l’idée dans le détail où le sens plus global qu’elle m’inspire. De vous proposer de devoir vous poser plus de 2 minutes. De prendre du temps pour réfléchir, vous questionner et peut-être apprendre quelque chose de nouveau ou remettre en question une opinion.

« On dit aux gouvernants, aux hommes d’Etat, aux peuples de s’instruire principalement par l’expérience de l’histoire. Mais ce qu’enseignent l’expérience et l’histoire, c’est que peuples et gouvernements n’ont jamais rien appris de l’histoire et n’ont jamais agi suivant des maximes qu’on en aurait pu retirer. » – Hegel

J’espère vous avoir partagé mon désir de faire mentir Hegel.

Bonne Réflexion !

 

Pascal avec le soutien bienveillant de Benoît & Didier

(1) Catherine Savajol-Rialland est maître de conférences 5Sciences-Po Paris & UCL) et Directrice du cabinet SO COMMENT. Elle est l’auteure du livre INFOBESITE : Comprendre et maîtriser la déferlante d’informations – Vuibert – 2013

(2) Suggestions de lecture :
Du bon usage de la lenteur : Pierre Sansot – Rivages poche (Payot) – Réflexion
La danse de la vie : Edward T. Hall – Points (Seuil) – Anthropologie
Le plaisir d’apprendre : Philippe Meireu – Manifeste (Autrement) – Réflexion
Du bonheur : Frédéric Lenoir – Livre de poche – Philosophie

Pascal BOQUET (ARUM AcCESs) – Benoit de SAULCE (Team Decide) – Didier CORBOLIOU (D2A Consulting) ont créé le CLUB 3C : Club des Consultants Confinés mais Confiants, un Think Tank pour passer et dépasser ce que nous impose la lutte contre le virus.

N’hésitez pas à partager nos articles mais aussi à nous suggérer des sujets sur lesquels, dans ce format court, nous pourrions mettre « notre jus de cerveau » en ébullition à votre service.

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