Petits Secrets de Dirigeants – Pascal Boquet, Dirigeant fondateur d’Arum AcCESs
Après trois années de crise, nous avons aujourd’hui le recul nécessaire sur la façon dont les entreprises ont appréhendé ces bouleversements. Dans ce contexte, nous lançons aujourd’hui notre nouvelle rubrique « 𝙋𝙚𝙩𝙞𝙩𝙨 𝙨𝙚𝙘𝙧𝙚𝙩𝙨 𝙙𝙚 𝙙𝙞𝙧𝙞𝙜𝙚𝙖𝙣𝙩𝙨 » afin de recueillir le témoignage de différents dirigeants sur cette crise traversée.
Nous avons interviewé Pascal Boquet, Dirigeant Fondateur d’Arum AcCESs.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Pascal Boquet, j’ai 60 ans. Je fais ce métier depuis 1998, de conseil en management et efficacité relationnelle.
J’ai eu un parcours opérationnel avant, plutôt dédié dans la place de l’humain dans l’organisation puisque j’ai travaillé dans la mise à disposition du personnel, le recrutement, la formation bureautique, la formation scientifique et technique où là j’étais plutôt du côté de ceux qui vendent et organisent.
Et j’ai créé mon propre cabinet, Arum AcCESs, à l’été 2019.
Quel regard portez-vous sur les trois dernières années ? Quels ont été les plus grands changements observés ?
Si je raisonne par rapport à mon activité propre : j’ai créé mon cabinet en septembre 2019 et notre ami le pangolin arrivait à l’automne. Donc tout ce qui touchait les activités propres à la formation se sont stoppées net. Et ça a été aussi une vraie question pour moi : comment j’allais faire ? Puisque tout se faisait en mode distanciel à ce moment-là. Donc comment imaginer faire de la formation comportementale derrière un écran ? Donc ça a été un gros travail, puisque j’étais mon premier ennemi. Je n’étais pas du tout convaincu qu’on puisse le faire.
Des solutions sont apparues, et on s’est aperçu qu’on pouvait quand même faire de la formation comportementale en mode distanciel mais il fallait tout repenser. Il fallait tout casser, tout réinventer : à la fois la pédagogie, la façon de travailler, le temps qu’on pouvait y consacrer dans une journée. Donc ça a été une expérience très intéressante.
Sur la partie conseil, là ça a été moins compliqué, parce qu’effectivement, qu’on soit en face-face ou à distance, ça se pratique assez facilement somme toute.
Donc j’ai pu faire mon business plan 2019/2020 malgré tout. Mais ça a été une aventure, pour une première année d’exercice, qui était passionnante.
Après sur le fond des sujets, on a vu émerger aussi toute l’incompréhension de : comment on peut arriver à faire vivre nos équipes et nos organisations dans un nouveau modèle que nous impose la pandémie ?
Et donc beaucoup de coachings sont apparus autour de cette notion du sens. Donc comment moi je peux mettre du sens dans ce que je fais, donner du sens à mes équipes, alors que tout ce qui se passe autour de moi rebat complètement les cartes du quotidien.
Quelles évolutions du corps social avez-vous constatées ?
Il y a un sujet clairement, qui a pris de l’essor, c’est tout ce qui touche au management à distance. Toutes les entreprises qui ont des équipes commerciales avec des directeurs régionaux et des vendeurs sur le terrain faisaient déjà du management à distance. Mais là, c’est toute l’entreprise, qui, du jour au lendemain, devait apprendre à travailler avec les mêmes mécanismes. Donc tout ce qui touche au management à distance a pris un essor considérable. A la fois parce qu’on est dans l’obligation – le monde ne s’arrêtait pas pour autant, il fallait continuer à travailler – et en même temps, des services qui n’étaient pas touchés par ça, s’y confrontaient.
L’autre élément c’est, le besoin exprimé par de plus en plus de collaborateurs de dire « Pourquoi j’irais travailler 5 jours par semaine au bureau alors que pendant les deux années fortes de pandémie, j’ai été capable de travailler à distance ? ». Ça a pas mal bouleversé le rapport à l’entreprise en termes de localisation.
Ça pose aussi la question de la productivité : est-ce qu’on a la même productivité en étant en mode distanciel qu’en étant derrière son écran sur un poste de travail au bureau ? Aujourd’hui on a pas mal d’informations qui tendent à montrer que le travail à distance, s’il est fait dans des conditions optimales à la maison, on a une productivité, suivant les métiers, qui va s’améliorer de 10 à 12%.
L’autre réalité, dans les milieux urbains : quand vous avez 1h30 de trajet le matin pour aller au travail et autant le soir, celui qui travaille à la maison, va se lever à peu près à la même heure qu’il le faisait d’habitude donc il va être au travail un peu plus tôt. Les pauses, il ne va pas en faire ou il va les faire moins longues, le temps du déjeuner c’est pareil. Donc le temps consacré au travail est optimisé.
Il y a plein de patrons qui disent « Mais mes gars, s’ils sont à distance, qu’est ce qui me dit qu’ils vont travailler ? ».
La seule réponse que j’ai c’est que celui qui te fumerait en distanciel, il te fumait déjà au bureau. Donc il y a une vraie, je crois, honnêteté des gens en mode distanciel : quand ils bossent, ils bossent vraiment.
Un autre paramètre, c’est l’esprit d’équipe. Et là ça a posé aussi la question de la valeur ajoutée des temps managériaux collectifs.
Il y a un exemple que je prends, c’est la réunion du lundi où tout le monde est derrière son ordinateur avec le patron « Toi tu as fait combien de rendez-vous ? Tu as rentré combien de chiffre d’affaires ? Tu as traité quel sujet ? » et tout le monde, comme un confesse, attend de passer à son tour, et bien qu’est-ce que l’on voit : on voit les micros qui s’éteignent, les caméras qui se floutent, et au bout de 10 minutes le gars attend son tour donc il fait autre chose. Et ça pose vraiment la question de, si j’ai des temps collectifs, quelle est la valeur ajoutée, moi en tant que patron, que je vais leur donner, pour que les collaborateurs restent présents. Et donc ça a rebattu aussi les cartes de l’organisation des réunions, de la façon de les mettre en œuvre, de la façon de les penser et de les processer pour en faire des temps forts.
Après, c’est le sentiment de solitude. Du côté du manager, parce que beaucoup se sont sentis démunis dans la façon de continuer à faire leur boulot, et la solitude du côté des collaborateurs.
Quelles sont les plus grandes problématiques rencontrées par les entreprises et ont-elles évolué depuis la pandémie ?
Une des problématiques les plus grandes que l’on peut observer – en tout cas que moi j’observe, c’est l’importance de se poser systématiquement la question de la valeur ajoutée et de l’exemplarité. Aujourd’hui, la notion d’exemplarité managériale, elle est de plus en plus prégnante, elle est de plus en plus puissante. Et cette notion d’avoir des rituels de qualité avec une vraie valeur ajoutée pour chacun d’entre eux, c’est un vrai sujet managérial aujourd’hui.
Aujourd’hui on a besoin aussi de valorisation, et ça c’est l’autre sujet que j’observe fréquemment qui est : le sentiment, que l’on soit manager ou collaborateur, que l’on est un peu un pion.
Il y a énormément d’interrogations autour du sens, du pourquoi on fait ces choses-là, pourquoi on prend ces décisions-là, et le fait d’être plus dans l’application des choses que vraiment leur compréhension, ça interroge.
Et quand on regarde les générations entrantes sur le marché – et la c’est le troisième gros sujet qui préoccupe beaucoup de managers, qui disent « Les jeunes je ne les comprends pas, on ne peut pas les managers. »
En fait ce n’est pas qu’on ne peut pas les manager, c’est que le code a changé.
Leur vie n’est pas tournée vers la réussite professionnelle. Ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas soif de réussir professionnellement, mais c’est UNE de leurs aspirations. Ce n’est pas leur moteur exclusif. Ils ont un rapport à l’entreprise et à l’emploi qui a bien changé, et c’est aux tempes grises, dont je fais partie, de comprendre ça, de l’intégrer, pour pouvoir avoir les meilleurs effets de levier. Et ça c’est un gros sujet.
Quels sont aujourd’hui les 2/3 plus grands défis pour les entreprises ?
Je pense qu’il y a un vrai sujet aujourd’hui qui est la capacité de l’entreprise et de son corps social à régulièrement dénoncer ces pratiques, en particulier quand tout va bien, pour voir ce qu’on peut améliorer, ce qu’on peut faire différemment.
Parce qu’on s’est bien rendu compte avec l’accélération de ces 30 dernières années et le choc qu’a provoqué la pandémie, que si on n’a pas développé une forme d’agilité, c’est quand même beaucoup plus compliqué.
Je pense qu’une entreprise n’est pas agile en elle-même. Une entreprise c’est des murs, c’est du matériel, c’est des ressources, c’est des règles, c’est des process. Ce qui fait l’agilité d’une organisation ce sont les êtres qui sont à l’intérieur. Si elles même ne sont pas majoritairement agiles, l’entreprise peut avoir beaucoup de difficultés à faire face à des nécessités d’inflexion rapide voire de transformation rapide.
Donc je parlerais en premier lieu de la capacité à être agile en dénonçant régulièrement ces pratiques, ces modes de fonctionnement, pour pouvoir s’ajuster quand l’on n’est pas encore dans la difficulté.
La deuxième chose que je dirais : 40% de la population active qui va arriver dans les prochaines années va être issue des X, des Y, des Z et des Millenials. C’est donc leur modèle qui va s’installer. Et donc il y a un vrai switch mental à opérer, qui est de vraiment comprendre comment ces générations qui arrivent sur le marché de l’emploi fonctionnent, et que l’on a à apprendre à quoi ils carburent, à quoi ils roulent, pour pouvoir arriver à vraiment trouver les modes de fonctionnement – tant organisationnels que managériaux.
Hier on parlait de l’équilibre pro/perso, aujourd’hui on parle de l’intégration pro/perso, donc je me dis qu’une entreprise dont les bureaux ouvrent à 9h et ferment à 18h ça va être compliqué.
On est aujourd’hui confronté à des personnes qui disent « Moi à 10h, je veux pouvoir aller passer une radio parce que j’ai un examen médical, je reviens à 11h. J’ai un pote qui arrive de son tour du monde à 16h, je vais faire Happy Hour avec lui et je reviendrai bosser à 20h en ayant commandé une pizza ».
Ce n’est pas usuel, mais ça va le devenir.
Donc il y a des choses à développer, et je crois que l’on a pas du tout terminé cette révolution-là.
La troisième – je ne sais pas s’il y a une troisième, à mon avis il y en a énormément à la clé – c’est prendre soin les uns des autres. Il y a énormément de questionnement autour du développement personnel par rapport à la confiance en soi, voire à l’estime de soi.
On a une vraie quête de sens et une vraie interrogation en matière de développement personnel. Et énormément de missions, même parfois en formation, on voit qu’il y a des personnes qui s’interrogent vraiment sur cet aspect là des choses.
Y’a-t-il un secret personnel de consultant que vous seriez prêt à nous partager ?
Oui il y en a un, qui est celui qui fait que je fais ce métier avec passion et que je ne m’en lasse pas, c’est « Voir autrement pour mieux voir » qui est le crédo qui fait que j’ai monté ce cabinet.
J’ai le sentiment qu’il n’y a pas de difficultés, y’a simplement à un moment, la façon dont on appréhende les sujets.
Parfois on s’aperçoit quand on se déplace autour d’un sujet, il y a des solutions. Et c’est un peu comme la focal d’un microscope : quand on change l’angle de vision, on s’aperçoit que ce qui était une difficulté sous un certain angle, n’en est pas un sous un autre angle.
Et j’aime beaucoup la phrase de Winston Churchill qui disait « Certains voient la difficulté dans l’opportunité là où d’autres voient l’opportunité dans la difficulté ».
Moi je trouve aujourd’hui, que notre capacité à voir autrement pour mieux voir, pour mieux cerner les sujets, pour se déplacer autour des sujets, fait que très fréquemment, les solutions elles émergent. Si les solutions elles émergent, c’est le problème n’est plus vraiment là.
Qu’aimeriez-vous que les personnes avec qui vous avez travaillé disent de vous ?
Ce que j’ai dit auparavant sur le « Voir autrement pour mieux voir » pourrait fonctionner, mais je rajouterais à ce moment-là « Il a pratiqué le doute bienveillant et ça m’a donné envie de changer ». Parce qu’on ne change pas les gens, on ne peut que leur donner envie de changer.